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Énergie décarbonée dans l’industrie : principe, enjeux et exemples

Publié le 24/04/2024      3 minutes de lecture

La transition énergétique de l’industrie passe par une décarbonation économiquement viable et techniquement réaliste. On fait le point…

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Énergie décarbonée dans l’industrie : principe, enjeux et exemples concrets 

En France, le tissu industriel représente plus de 21 % des consommations énergétiques et présente un potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 20 % à l’horizon 2030, selon les estimations de l’ADEME.  

Cette ambition passe par une décarbonation économiquement viable et techniquement réaliste de l’énergie utilisée dans les processus industriels. On fait le point… 

Qu’est-ce que l’énergie décarbonée ? 

L’énergie décarbonée fait référence à toute forme d’énergie produite et utilisée de manière à ne pas augmenter la concentration de dioxyde de carbone (CO₂) dans l’atmosphère. En l’absence d’une définition normée, est qualifiée de « décarbonée » toute énergie dont le cycle de vie, de la source à l’utilisation en passant la distribution, n’induit pas d’ajout net de dioxyde de carbone et d’autres gaz à effet de serre dans l’atmosphère.  

Le principe du cycle de vie est ici décisif, car il permet de distinguer clairement les concepts d’énergie décarbonée de celui d’énergie renouvelable, parfois utilisés de manière interchangeable dans le débat public. 

Si les énergies renouvelables sont souvent produites sans émissions directes de dioxyde de carbone (CO₂) durant leur fonctionnement, leur cycle de vie complet induit des émissions de gaz à effet de serre à différentes étapes, ce qui les rend de facto carbonées (ou faiblement carbonées), à moins de neutraliser ces émissions par des initiatives de compensation ou de séquestration de carbone.  

Ce bilan carbone négatif est la conséquence directe de l’extraction des matériaux, la fabrication, le transport, l’installation, l’entretien, et enfin la déconstruction et le recyclage des infrastructures énergétiques. À chaque étape, des émissions de CO₂ et d’autres gaz à effet de serre peuvent survenir. 

Énergie décarbonée vs. énergie renouvelable : le cas des panneaux solaires photovoltaïques 

Les panneaux solaires photovoltaïques cochent toutes les cases de l’énergie renouvelable ou verte. Ils convertissent la lumière du soleil, une ressource virtuellement inépuisable, en électricité, sans brûler de combustibles fossiles et sans émissions directes de CO₂ pendant leur fonctionnement.  

Cependant, lorsqu’on les évalue sous l’angle de l’énergie décarbonée, l’analyse se complique et s’étend au-delà de l’utilisation. La fabrication de panneaux solaires implique en effet l’extraction de matières premières comme le quartz, utilisé pour produire du silicium pur, et de métaux comme l’argent, l’aluminium ou le cuivre pour les connexions électriques.  

Ce processus consomme beaucoup d’énergie et, selon sa source, va générer des émissions plus ou moins significatives de CO₂. Si l’électricité utilisée pour produire le silicium provient de centrales au charbon, les émissions associées seront considérables. 

Exemple concret 

Prenons l’exemple de panneaux solaires fabriqués en Chine (premier producteur mondial) et livrés en France pour une utilisation résidentielle typique, à savoir 5 kW. Cette capacité nécessite environ 30 mètres carrés de panneaux solaires. 

Estimons les émissions de gaz à effet de serre à chaque étape du cycle de vie de ces panneaux solaires photovoltaïques. 

  1. Extraction et traitement des matières premières 

L’extraction de silicium, qui nécessite des processus à haute température, implique le plus souvent des combustibles fossiles. La conception implique également du verre, de l’aluminium pour le cadre, des métaux pour les conducteurs, etc. 

Estimation des émissions de gaz à effet de serre : 2 300 kg de CO2 pour 30 m² de panneaux solaires.

2. Fabrication des panneaux solaires 

La production d’un mètre carré de panneau solaire émet généralement entre 40 et 100 kg de CO₂, selon l’efficacité du processus de fabrication et la source d’énergie utilisée. Si l’on considère une installation typique de panneau solaire résidentiel de 5 kW, nécessitant environ 30 mètres carrés de panneaux, les émissions se situeront entre 1 200 à 3 000 kg de CO₂ pour la production des panneaux. 

Estimation des émissions de gaz à effet de serre : 2 100 kg de CO2.

3. Transport des panneaux solaires depuis la Chine 

Le poids d’un panneau solaire photovoltaïque standard est compris entre 18 et 25 kg par mètre carré. Pour 30 m², nous aurons donc un poids de 540 à 750 kg. Utilisons un poids moyen de 645 kg pour notre exemple. 

Les émissions de CO₂ pour le transport maritime sont généralement estimées entre 10 et 40 grammes par tonne – kilomètre. Prenons une valeur moyenne de 25 grammes de CO₂ pour notre calcul. 

Le transport international depuis la Chine jusqu’en France métropolitaine implique généralement d’acheminer les panneaux solaires par bateau puis par camion jusqu’au lieu d’installation. Pour 30 mètres carrés de panneau, cela représente environ 750 kg de dioxyde de carbone. 

La distance maritime approximative de la Chine à la France est d’environ 20 000 kilomètres. 

En utilisant ces chiffres, le calcul des émissions de CO₂ pour le transport des panneaux solaires est le suivant: 

  • Émissions CO2 = Poids total × Distance × Émissions par tonne-kilomètre  
  • Émissions CO2 = 0.645 tonnes × 20 000 km × 25 g/tonne-km 
  • Émissions CO2 = 322.5 kg de CO2. 

Donc, pour le transport de 30 mètres carrés de panneaux solaires de la Chine à la France, les émissions sont d’environ 322,5 kg de CO₂.

4. L’installation des panneaux solaires en France 

Les émissions sont ici « négligeables », dans la mesure où elles se limitent à l’utilisation de petits équipements électriques et au déplacement des installateurs : 20 kg de CO2.

5. Fin de vie et recyclage des panneaux solaires 

La phase de fin de vie et de recyclage des panneaux solaires photovoltaïques couvre le démantèlement, le transport des panneaux usagés et leur traitement dans des installations de recyclage. Voici une estimation des émissions pour cette phase : 

  • Démantèlement : cette étape est relativement peu émettrice en CO₂. Elle implique principalement la main-d’œuvre pour retirer les panneaux du site d’installation. On peut estimer que cela génère entre 10 et 30 kg de CO₂, en fonction de la taille de l’installation et des équipements utilisés ; 
  • Transport au centre de recyclage : les émissions dépendront de la distance parcourue. Pour une petite quantité de panneaux, comme ceux d’une installation résidentielle, les émissions peuvent être de l’ordre de 20 à 100 kg de CO₂, en considérant que les panneaux peuvent être transportés ensemble à une installation plus ou moins proche ; 
  • Recyclage : les technologies modernes permettent de recycler environ 80 à 90 % d’un panneau solaire. Les émissions liées au recyclage des matériaux eux-mêmes sont relativement faibles, mais elles dépendent de l’énergie consommée par le processus. On peut estimer ces émissions à 50 à 150 kg de CO₂, selon l’efficacité du processus et les sources d’énergie utilisées. 

En sommant ces estimations, la phase de fin de vie et de recyclage de 30 mètres carrés de panneaux solaires dans une installation résidentielle générerait, en moyenne, 180 kg de CO2.

6. L’énergie solaire : renouvelable mais non décarbonée au sens strict 

Dans notre exemple simplifié, une installation résidentielle de panneaux solaires de 5 kW émet près de 5 tonnes de CO2. Elle n’est donc pas décarbonée au sens strict du terme, mais ce postulat mérite d’être nuancé. 

En effet, si l’on considère que l’électricité produite par les panneaux solaires remplace celle générée par des sources fossiles, qui émettent en moyenne 0.5 kg de CO2 par kWh, une telle installation permettrait d’éviter l’émission de plus de 60 tonnes de CO2 sur 25 ans, durée de vie moyenne des panneaux solaires résidentiels. 

In fine, toutes les énergies renouvelables peuvent être considérées comme décarbonées (ou faiblement carbonées) lorsque l’on prend en compte les émissions qu’elles évitent. En revanche, toutes les énergies décarbonées ne sont pas renouvelables (cas de l’énergie nucléaire). 

Énergie décarbonée dans l’industrie : de quoi parle-t-on ? 

L’énergie décarbonée dans l’industrie se réfère à l’utilisation de sources d’énergie et de procédés qui limitent ou éliminent les émissions de dioxyde de carbone (CO₂) pour contribuer à la réduction de l’empreinte carbone du secteur industriel. 

Le législateur (par la loi) et les industriels (par l’innovation et dans un objectif RSE) peuvent actionner cinq leviers pour amorcer la décarbonation de l’industrie. 

#1 La baisse de la consommation d’énergie 

L’audit énergétique des installations permet d’identifier les principaux postes de consommation et les pertes. Les résultats du diagnostic orientent le plan d’action, avec par exemple la mise à niveau de systèmes obsolètes, comme le remplacement de vieux moteurs électriques par des modèles à haut rendement énergétique qui réduisent la consommation d’électricité. 

L’amélioration de l’isolation des bâtiments industriels réduit les besoins en chauffage et en refroidissement. L’installation des systèmes de gestion de l’énergie automatisés permet de contrôler précisément l’utilisation d’énergie, d’ajuster les opérations en temps réel et de minimiser les gaspillages. 

En optimisant les chaînes de production, les industries rationalisent leurs processus, éliminent les étapes inutiles qui consomment de l’énergie et synchronisent les opérations pour éviter les pics de consommation énergétique.  

Enfin, le recyclage de la chaleur fatale, issue des processus industriels, pour le chauffage des locaux ou d’autres processus thermiques, constitue une méthode efficace pour réduire la consommation globale d’énergie. 

#2 Le recours aux énergies décarbonées ou faiblement carbonées 

L’utilisation d’énergie décarbonée dans l’industrie implique le remplacement (au moins partiel) des sources d’énergie émettrices de CO₂ par des alternatives à faible émission. 

Les installations solaires photovoltaïques sur les toits des usines ou à proximité directe permettent aux entreprises de produire une partie de leur électricité et de réduire ainsi la dépendance aux combustibles fossiles, avec un intérêt écologique mais aussi économique 

L’installation d’éoliennes sur des sites industriels ou l’achat d’énergie éolienne via des accords d’achat d’électricité contribuent également à cet effort de décarbonation. 

La récupération de chaleur fatale est un autre pilier de l’usage d’énergie décarbonée. Les processus industriels génèrent souvent de la chaleur qui est dissipée dans l’environnement sans être utilisée. En capturant cette chaleur pour le chauffage des bâtiments ou pour générer de l’électricité permet d’améliorer l’efficacité énergétique globale. 

💡 L’état des lieux de la chaleur fatale industrielle en France 

Le potentiel total de chaleur fatale dans l’industrie française est estimé à 109.5 TWh, ce qui représente un peu plus de 36 % de la consommation totale de combustibles de l’industrie. De cette quantité, 52.9 TWh sont perdus à une température supérieure à 100 °C. La moitié du gisement se concentre dans 5 régions industrielles : le Nord-Pas de Calais, la région PACA, la Haute-Normandie, la région Rhône-Alpes et la Lorraine. 

Source : l’ADEME 

Enfin, l’hydrogène, produit de manière écologique (hydrogène vert) par électrolyse de l’eau utilisant de l’électricité renouvelable, est une solution prometteuse pour remplacer les combustibles fossiles dans les applications industrielles nécessitant des températures élevées ou comme matière première chimique. 

💡 L’état des lieux de l’hydrogène vert en France 

En France, la production d’hydrogène industriel est estimée à 900 000 tonnes par an, dont 94 % à partir d’énergie fossiles (gaz, charbon, hydrocarbures), émettant plus de 11,5 millions de tonnes de CO2 chaque année, soit 3 % des émissions à l’échelle du territoire national.  

Tout reste donc à faire pour décarboner l’hydrogène dans l’Hexagone. C’est pourquoi le ministère de la Transition Écologique et Solidaire porte le Plan de déploiement de l’hydrogène pour la transition énergétique dans l’industrie et les collectivités. 

Source : l’ADEME 

#3 La réduction des émissions des GES non-énergétiques 

Les émissions de GES non énergétiques sont des émissions de gaz à effet de serre qui proviennent de sources autres que la combustion de combustibles fossiles pour la production d’énergie. Elles représentent environ 24 % des émissions mondiales de GES. 

Les émissions non énergétiques dans l’industrie se manifestent sous différentes formes et proviennent de multiples sources: 

  • La production de ciment, de chaux et d’autres matériaux calcaires implique la libération de CO2 lors de la décomposition chimique des carbonates ; 
  • Certains procédés chimiques, notamment la fabrication de fluorés, d’engrais azotés et de certains plastiques, génèrent des gaz à effet de serre puissants comme les hydrofluorocarbures (HFC), les perfluorocarbures (PFC) et l’hexafluorure de soufre (SF6) ; 
  • La métallurgie, en particulier la production d’aluminium, de fer et d’acier, émet du CO2 et du protoxyde d’azote (N2O) lors de la réduction des minerais et d’autres réactions chimiques ; 
  • Les systèmes de climatisation et de réfrigération industriels utilisent des gaz fluorés à fort potentiel de réchauffement global (PRG) qui peuvent fuir au fil du temps. 

L’approche consistera ici à favoriser des solutions viables sur le plan économique pour réduire les émissions. Plusieurs bonnes pratiques font déjà leur chemin dans le tissu industriel français, comme :  

  • Le remplacement du clinker par des ciments composés dans la production de béton, ce qui réduit les émissions de GES de 20 à 40 % ; 
  • La mise en place d’un système de capture et de valorisation du méthane issu des décharges industrielles ; 
  • La baisse des émissions de NOx et de CO2 dans les cimenteries par l’ajustement du ratio air – combustible, le recours aux solutions de recirculation des gaz à de combustion et l’amélioration de l’étanchéité des installations. 

#4 L’électrification des procédés et l’effacement/flexibilité électrique 

L’électrification des procédés vise à remplacer les combustibles fossiles par de l’électricité décarbonée dans les installations industrielles, par exemple par :  

  • Le remplacement des chaudières à gaz ou fioul par des systèmes électriques ; 
  • L’utilisation de l’électricité pour décomposer l’eau en hydrogène et oxygène ; 
  • L’adoption de fours et sécheurs à induction ou à infrarouge ; 
  • Le remplacement des moteurs à combustion par des moteurs électriques, etc.  

L’effacement et la flexibilité électrique consistent à moduler la consommation d’électricité des entreprises en fonction des besoins du réseau.  

Cette approche peut se traduire par un déplacement de la consommation vers des heures creuses, une réduction temporaire de la consommation en cas de pic de demande ou encore une participation active aux marchés de l’effacement.  

#5 Le déploiement des puits de carbone naturels ou artificiels 

Le puits de carbone est un réservoir naturel ou artificiel qui absorbe davantage de carbone qu’il n’en émet, ce qui permet de réduire la quantité de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. On compte deux types de puits de carbone :  

  • Les puits naturels, notamment les forêts, les tourbières, les mangroves, les marais salants et les océans ; 
  • Les puits artificiels, notamment le captage et stockage du carbone (CSC) à la source, par exemple dans les centrales électriques ou les industries lourdes, qui sera stocké dans des formations géologiques profondes. 

En plus d’investir dans des puits artificiels, les industriels peuvent contribuer aux initiatives locales de reforestation, de gestion durable des forêts, de protection et de restauration des zones humides, etc.