Construction : le réemploi de matériaux et la décarbonation

Publié le 10/01/2024      4 minutes de lecture

Bien qu’ils soient majoritairement « réemployables », seuls 1 % des matériaux de construction sont effectivement réemployés en France, selon une étude de l’ADEME.

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Construction : comprendre le réemploi des matériaux en 5 questions clés

Si le réemploi des matériaux a longtemps été la norme dans l’histoire de la construction, il a très vite déchanté à l’ère industrielle. Aujourd’hui, seuls 1 % des matériaux de construction sont réemployés après un premier usage en France. Et le gâchis est d’autant plus regrettable lorsque l’on sait que la grande majorité des matériaux de construction sont réutilisables. Chronique d’une filière qui peine à décoller. 

#1 Qu’est-ce que le réemploi des matériaux ? Quelle différence avec le recyclage et la réutilisation ? 

Dans le langage courant, le réemploi, la réutilisation et le recyclage sont souvent utilisés de manière interchangeable. Ces termes ont pourtant une définition juridique propre, même si, nous le verrons, elle ne suffit pas forcément à dissiper la confusion. 

Selon l’article L541-1-1- du Code de l’Environnement, le réemploi désigne « toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui ne sont pas des déchets sont utilisés de nouveau pour un usage identique à celui pour lequel ils avaient été conçus ». 

Le même texte évoque le recyclage comme « toute opération de valorisation par laquelle les déchets, y compris les déchets organiques, sont retraités en substances, matières ou produits aux fins de leur fonction initiale ou à d’autres fins ». Et de poursuivre : « Les opérations de valorisation énergétique des déchets, celles relatives à la conversion des déchets en combustibles et les opérations de remblaiement ne peuvent pas être qualifiées d’opérations de recyclage ». 

Enfin, le Code de l’Environnement définit la réutilisation comme « toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui sont devenus des déchets sont utilisés de nouveau ». 

Les définitions peuvent paraître proches et, surtout, elles ne correspondent pas réellement à celles utilisées par les entreprises et les acteurs engagés dans l’économie circulaire. Et pour ajouter de la confusion à la confusion, le droit européen ne fait aucune distinction juridique entre le réemploi et la réutilisation. C’est également le cas de l’Agence française de la transition écologique (ADEME). 

Dans la pratique, on parle de réemploi lorsque des matériaux déjà utilisés sont réintroduits dans de nouveaux cycles de production sans qu’ils n’aient à subir une retransformation significative, voire sans retransformation, contrairement au recyclage qui cible des déchets que l’on va retraiter de manière importante. Le réemploi implique donc une plus grande conservation des propriétés physiques et de la valeur intrinsèque. 

On vous résume les « 3R » dans un tableau de synthèse. 

 

Réemploi 

Recyclage 

Réutilisation 

Principe 

Utilisation de matériaux ou de produits dans leur forme initiale ou avec des modifications mineures, pour un usage identique mais dans un environnement différent. 

 

La durée de vie des matériaux est prolongée, et la majeure partie de leur structure est conservée.  

Transformation des matériaux usagés en nouveaux produits ou matières premières.  

 

Le processus implique la collecte et le traitement des déchets, leur décomposition ou leur fusion, puis la production de nouveaux matériaux. 

 

Il peut altérer la composition originale du matériau mais permet de réduire la dépendance aux ressources vierges. 

Utiliser à nouveau un produit ou un matériau pour le même usage pour lequel il a été conçu, sans modification de sa forme ou de sa fonction.  

 

Exemples 

Généralement associé à l’industrie et à la construction, comme la réutilisation des poutres en acier d’un bâtiment démoli dans la construction d’un nouveau bâtiment. 

Des bouteilles en plastique collectées, broyées, fondues et reformées en nouveaux produits plastiques (contenants alimentaires, fibres pour textiles, pièces pour produits électroniques). 

 

Des journaux et des magazines usagés recyclés en une pâte à papier pour produire du papier neuf ou d’autres produits en papier (cahiers ou cartons d’emballage). 

Bocaux en verre contenant des produits alimentaires que l’on nettoie et que l’on réutilise pour conserver des aliments faits maison. 

 

Sacs en tissu ou sacs à provisions réutilisables pour faire ses courses. 

#2 Réemploi des matériaux : le cas de la construction 

Dans la construction, le réemploi des matériaux implique l’utilisation de composants extraits de structures existantes ou démantelées dans de nouveaux projets de bâtiment, tout en conservant leur forme et leur fonction première. Cette démarche se caractérise par la sélection minutieuse de matériaux réemployables comme les poutres en acier, les briques, des éléments de charpente en bois ou des éléments de façade prélevés sur des sites de démolition ou de rénovation. 

L’évaluation de la viabilité du réemploi commence par une analyse détaillée de l’état physique des matériaux. Ce travail comprend la vérification de l’intégrité structurelle, la présence de défauts, l’usure et l’adhérence aux normes de construction en vigueur. Par exemple, pour les poutres en bois, on examinera leur résistance, la présence de parasites ou de moisissures et leur compatibilité avec les exigences de sécurité du nouveau projet. 

Une fois les matériaux jugés appropriés pour le réemploi, ils seront « préparés » pour leur nouvelle utilisation avec des opérations de nettoyage, le retrait des anciennes fixations et éventuellement une coupe pour les adapter aux nouvelles spécifications dimensionnelles. Dans le cas des briques, il s’agira de nettoyer l’ancien mortier et de vérifier leur uniformité pour une réintégration harmonieuse dans une nouvelle structure. Prenons un exemple concret. 

#3 Réemploi des matériaux : cas des poutres en acier d’une usine démolie 

Étape 1 : évaluation et sélection sur site  

Lors de la démolition de l’usine, une équipe d’ingénieurs et de spécialistes en matériaux évalue l’état des poutres en acier. Ils vérifient leur intégrité structurelle et recherchent des signes de corrosion, de fissures ou de déformations à l’aide de jauges d’épaisseur à ultrasons. 

Étape 2 : préparation et traitement  

Une fois sélectionnées, les poutres sont préparées pour le transport. Elles sont débarrassées de tout élément non métallique comme les restes de béton et les fixations. Les poutres sont ensuite coupées en sections gérables à l’aide de chalumeaux ou de scies à métaux, si nécessaire. À l’atelier, elles sont nettoyées de toute rouille ou peinture ancienne, souvent par grenaillage, pour revenir à une surface métallique propre. 

Étape 3 : tests de qualité et conformité  

Avant leur réutilisation, les poutres subissent des tests de résistance et de qualité pour assurer leur conformité aux normes actuelles. Des essais de traction et de flexion peuvent être réalisés pour évaluer la résistance mécanique de l’acier. 

Étape 4 : conception et intégration dans le nouveau projet  

Les ingénieurs structurels et les architectes du nouveau projet de construction étudient les dimensions et les propriétés des poutres récupérées pour les intégrer dans la conception.  

Cette intégration nécessite souvent une approche sur mesure, en ajustant les plans pour accueillir les spécificités des poutres réemployées. Par exemple, si les poutres sont légèrement déformées ou si elles arborent des dimensions non standard, la conception du nouveau bâtiment en tiendra compte. 

Étape 5 : montage et installation sur le nouveau site 

Des méthodes de levage et de fixation adaptées sont utilisées pour installer les poutres en acier. Il s’agira de s’assurer que les points de connexion, les supports et les fixations sont conçus pour s’adapter à la forme et aux dimensions des poutres réemployées. 

Étape 6 : contrôle de qualité post-installation  

Après l’installation, des inspections et des tests sont effectués pour vérifier l’intégrité structurelle et la sécurité de l’installation. On parle essentiellement de tests de charge et d’analyse par éléments finis pour s’assurer que les poutres réintégrées répondent bien aux exigences de performance du bâtiment. 

#4 L’état des lieux et le cadre légal du réemploi de matériaux en France 

Bien qu’une grande partie des matériaux de construction soient techniquement réemployables, seuls 1 % étaient effectivement réemployés dans l’Hexagone en 2022 selon une étude de l’ADEME.  

Après un premier usage, la quasi-totalité de ces matériaux finissent donc à la décharge ou sont recyclés, notamment par broyage ou fonte, ce qui entraîne un impact environnemental et une perte économique. L’essentiel des cas de réemploi des matériaux de construction reste le fait de particuliers, de bricoleurs et d’auto-constructeurs. 

Pour stimuler le réemploi des matériaux de construction, l’Etat a fait évoluer la réglementation au moyen de textes et de lois qui ciblent spécifiquement le BTP.  

La RE2020 

La Réglementation Environnementale 2020 (RE2020) vise à favoriser les constructions bas carbone, et donc le réemploi, par le biais de plusieurs mesures concrètes :  

  • Des seuils maximaux à ne pas dépasser sur l’indicateur carbone pour obtenir le permis de construire. Les seuils sont révisés à la baisse tous les trois ans pour atteindre l’objectif de – 30 % des émissions de CO2eq dans l’industrie de la construction d’ici 2031 ; 
  • La méthode d’Analyse de Cycle de Vie dynamique que l’on retient désormais pour le calcul de l’indicateur carbone avantage les constructeurs qui ont recours au réemploi des matériaux ; 
  • La RE2020 considère que les matériaux réemployés ont un bilan carbone nul. Leur transport n’est pas pris en compte. 

Le décret de mars 2021 sur le minima réemploi 

Ce décret oblige le respect des minima de matériaux recyclés et de matériaux de réemploi dans les marchés publics.  

Pour le réemploi, le taux minimal tourne autour de 4 % sur l’ensemble des dépenses annuelles de l’administration (et non du marché). Pour l’heure, ces minima s’emploient uniquement à l’achat de mobilier et d’installations temporaires de chantier, mais les matériaux de construction sont dans le pipe. 

La loi AGEC 2020 

La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire a introduit le diagnostic « PEMD », pour produits – équipements – matériaux – déchets.  

Concrètement, avant certaines opérations de démolition ou de réhabilitation significative des bâtiments (plus de 1 000 m² de surface plancher notamment), il s’agira d’anticiper et d’améliorer la gestion des ressources existantes pour renforcer les pratiques de déconstruction sélective, le recours au réemploi et le développement du recyclage des différents flux de déchets. 

La loi AGEC 2020 a également introduit la filière à Responsabilité Élargie du Producteur (REP) appliquée aux produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment, dite REP PMCB.  

En plus de la prise en charge de la gestion de la fin de vie des produits et matériaux par les fabricants et les industriels, elle prévoit l’amélioration de l’ensemble de leur cycle de vie par l’éco-conception, la réutilisation et le réemploi.  

« Un objectif quantitatif de réemploi et de réutilisation doit être fixé dans le cahier des charges d’agrément des éco-organismes de cette filière, minima à atteindre d’ici la fin de la période d’agrément de 6 ans », explique l’ADEME. 

La réforme du Code de la Construction 

Conformément au dispositif ESSOC 2, le maître d’ouvrage est désormais autorisé à choisir les moyens qu’il souhaite pour répondre à ses obligations légales.  

Concrètement, il pourra recourir à des matériaux et techniques « non courantes », à condition de prouver qu’ils atteindront les effets attendus. Ce dispositif devrait profiter aux matériaux réemployés. 

#5 Les freins et les obstacles au réemploi des matériaux dans la construction 

Si le réemploi venait à s’imposer dans l’effort collectif de décarbonation du BTP, il viendrait renforcer les filières économiques existantes en baissant à la fois leur coût de revient et leur bilan carbone.  

En France et dans en Europe, le réemploi est déjà porté par plusieurs acteurs qui proposent des services variés, allant de la déconstruction au remontage en passant par la manutention, la remise en état, la documentation, les tests et les garantis, sur des matériaux diversifiés (briques, pavés de voirie, planchers en bois, portes, fenêtres, profilés en acier, etc.). 

Malgré un regain d’intérêt au lendemain de l’Accord de Paris, la filière du réemploi reste bridée par plusieurs freins et obstacles :  

  • Un contexte normatif relativement flou, notamment sur le volet opérationnel. Par exemple, les professionnels ne savent pas encore, à ce jour, si le règlement européen 205/2011 qui réglemente la mise sur le marché des produits de construction s’applique aux éléments de réemploi ; 
  • Des contraintes techniques, car les matériaux réemployés ne sont pas accompagnés de la documentation nécessaire. C’est d’autant plus problématique dans les classes d’usage contraignantes, comme les applications structurelles ; 
  • Un secteur européen qui manque de leviers, d’acteurs de référence et d’influenceurs. « Seul le Royaume-Uni dispose d’une sorte de fédération des revendeurs de matériaux qui se charge de faire connaître les activités de ses membres et de mener des actions de lobbying auprès des pouvoirs publics », note l’ADEME ; 
  • Les projets soumis à la réglementation des marchés publics, censés donner l’exemple, semblent toujours bouder les matériaux de réemploi à l’échelle européenne.